mercredi 16 septembre 2009

Des tripes, du sang, des larmes...et des morts qui dansent.

Blog de mon collège saison 2.
Comptez pas sur moi pour vous faire voir des zolies photos de vacances, vous narrer mes baignades, mes journées bricolage-jardinage, mes soirées poteaux ou mes embouteillages sur les autoroutes du soleil, on est pas sur fessebouque ici.
Donc, même pas d'excuse valable pour le trou estival et béant sur ce blog, on reprend à zéro, c'est la rentrée réelle comme virtuelle. Et comme elle a démarré sur les chapeaux de roue, autant ne pas se priver.
Les rentrées se suivent et se ressemblent quelque peu. Le premier jour, c'est les retrouvailles, les "comment ça va ? putain comment t'as pas bronzé t'es resté deux mois en Bretagne ou bien ? eh mais toi t'as l'air déjà crevé ! non mais j'étais hier encore en Andalousie tu comprends plus tard je reviens mieux je me porte. tu m'étonnes...". Ce sont aussi les nouveaux (peu nombreux cette année) que l'on scrute en se demandant s'ils vont tenir le coup face aux mômes, certains qui pleurent déjà d'avoir été mutés ici, d'autres qui ont l'air motivés, prêts à ne pas céder face au cyclone ado qui débarque dès le lendemain. Ce sont aussi les anciens, visages qui rassurent, d'autres qu'on avait oublié un temps et qu'on n'a pas envie de revoir là maintenant aussi tôt, d'autres qui nous manquaient depuis un bon moment, d'autres avec qui on aime partager neuf mois de galère et de rires. Mais ça, c'est la première journée, cool, décontractée, chemise-short-tongs, emploi du temps, cour et salles vides, le calme avant la tempête...
Jour 2, 3, 4 et suivants...
Ils sont tous là. Bigre, on les avait presque oubliés, d'ailleurs certains noms ne me reviennent pas. Les 6ème ont l'air gratinés cette année, déjà une prof de maths qui vient de les avoir quatre heures et un élève qui sort de sa classe à midi et se retourne "vous êtes qui, déjà, m'dame ?", et d'autres qui ont l'air carrément dans la quatrième dimension mais à leur décharge, le premier jour dans un collège, c'est difficile pour tout le monde. L'originalité de cette rentrée, disons ce qui marque le plus, c'est la gitanerie ambiante. Non pas qu'il y ait davantage d'élèves gitans cette année, mais disons qu'on les entend beaucoup. Trop. Et qu'ils se font sacrément remarquer, à grands coups de beuglantes mains frapées claquettes au sol. Un vrai festival de flamenco dans les couloirs du collège et aux portes des classes, allant même jusqu'aux recoins du C.D.I. où des complaintes s'élèvent, narrant le malheur d'être obligé de se taper un livre sur Madame Bovary alors qu'on préfèrerait être dehors. Cette rentrée, plus que les autres rentrées, le collège ressemble à une immense salle de casting de la "Star Ac'" : ça chante, ça danse, ça rejoue des scènes des pires vaudevilles, ça tragédie à tout-va, je vous raconte même pas le nombre de Molières et de Victoires de la Zique qu'on aurait pu décerner en même pas une semaine. Grosse fatigue.
Mais passons du plan général au détail qui tue.
La 6ème Flaubert, donc. La classe où on connaît pas le nom de la prof alors qu'on a passé 4 heures avec elle. Elle débarque au C.D.I. avec son prof de français monsieur Vichicélestin qui, pourtant habitué aux classes pénibles, se dit que là, on a atteint des sommets. Séance de découverte du lieu de culture et d'information, et recherche autour de l'écrivain dont la classe porte le nom, ainsi que sur son oeuvre. Pendant que les élèves essaient d'écrire le travail du jour, je dépose à côté de chacun d'eux un dictionnaire. Mais, en m'approchant de Cassandre et lui posant un peu trop fort l'épais ouvrage sur sa table, celle-ci bondit d'effroi en reculant et en hurlant : "RRRRHHHHAAAAAA mais il est fou lui ! Tu veux que moi je lise çAAAAAAAAA"...
Tiens, ça faisait longtemps, le son mélodieux mais très guttural des gitanes qui se pètent la gorge (en te pétant au passage un tympan), juste pour te signifier qu'elles ont un avis à donner.
"Mais Cassandre, c'est un dictionnaire ! Tu ne vas pas tout lire, il faut juste chercher des renseignements sur Flaubert..."
- MMMAAAAAA je sais pas moi je suis pas une payou !"
Fait évident, même si je vois pas bien le rapport. Après quelques minutes un peu lourdasses à rappeller le principe d'un dictionnaire (certains avaient l'air d'en voir un pour la première fois de leur existence), tout le monde se met à feuilleter les pages à la recherche du mot propre demandé. Ambiance intimiste, quasi religieuse, personne ne bronche, ne reste que le son des feuilles tournées, on se repose. Pas pour longtemps...
Djizeuss (comme ça se prononce) se met à hurler "las tripas, las tripas, LAS TRIPAS !!!!" en se levant comme s'il avait vu le diable dans le dico.
PAUSE.
Pourquoi Djizeuss ? parce que. Sachez, tas d'incultes sur la question manouche, que la communauté ne s'embarrasse pas de fioritures et qu'elle est souvent d'une imparable logique. Par exemple Mike, son prénom sur le papier s'écrivait "Maïke" ; et quand je lui expliquais que j'avais jamais vu ce prénom écrit ainsi, en lui montrant l'autre orthographe, celui-ci m'avait répondu : "rhha mais non, là tu le dis Mique, ça va pas". Vraiment imparable, la logique.
Djizeuss, donc, "la chose" de la 6ème Flaubert. Un truc incontrôlable, pas vraiment méchant, juste imprévisible et super pénible.
FIN DE PAUSE
Je fonce sur Djizeuss, toujours en train de hurler "LAS TRIPAS, LAS TRIPAS" debout, le doigt pointé sur une page de dictionnaire. Je regarde cette page. Une planche en couleurs, anatomie du corps humain, muscles, viscères, nerfs. Et les intestins. Les tripes, quoi. Couleur sang et blanc sale. Las tripas.
Je regarde Djizeuss, comme possédé, genre L'exorciste avec de la gomina dans ses cheveux moitié décolorés. Je regarde ensuite Monsieur Vichicélestin, complètement blasé, avec sur son visage une expression inconnue, à mi-chemin entre "non mais je rêve" et "suicidez-moi, là". Nos regards se croisent, et, là, ce que l'on redoute souvent : le fou rire. On se retourne tous les deux, dos à dos, visages un peu dissimulés, tentant de renfermer nos débuts d'éclats de rire, Dieu que c'est rude, avec l'autre qui continue à psalmodier ses tripas devant une classe à la fois ébahie et souriante, un spectacle gratos, ils en redemandent. Tout cela dure à peu près deux minutes. Une éternité quand tu es en séquence avec élèves.
Et tout à coup, il referme le livre, énervé. Il se tait un peu, puis recommence à maugréer des phrases sans sens, mais estimant qu'il a gagné son coup, il a fait rire l'assistance, le mec est pas peu fier de son interprétation. C'est le moment de régair, Vichicélestin semble désarmé, j'ordonne donc à Djizeuss de se calmer ailleurs, en l'occurence hors du C.D.I., à la vie scolaire. Djizeuss refuse pas, il s'avance même vers la porte que j'ai ouverte, en effectuant un pas de danse à la moonwalk, probablement un dernier hommage au roi de la Pop. Celui-ci doit se retourner dans sa tombe, l'imitation de Djizeuss est même pas digne d'un roulé à la Aldo Maccione. Un ridicule assumé, trop fort le Djizeuss, il attend même les encouragements de sa classe qui ne viendront jamais, bonjour la vieille honte.
Arrivés tous deux à la vie scolaire, je lance calmement : "je vous ramène ce jeune homme qui hurle comme un possédé parce qu'il y a des intestins sur une page de dico, et qui se prend pour Michael Jackson". Les surveillants me regardent, sourire en coin, ils me connaissent, et, visiblement, ils connaissent bien Djizeuss aussi. Ce dernier a pas l'air bien content de ma description des faits, il se retourne, regard mauvais, bovin mais mauvais : "eh mais quoi tu dis, toi ? moi, je suis Mikaeulle Jaquesaune, moi, regarde, moi, je sais le faire comme lui" et c'est reparti pour un Moonwalk de chez Lidl. Et je pars en balançant :
"Non, jeune homme, Michael jackson, c'est Michael jackson, et Djizeuss, c'est Djizeuss !"
Cloué, le King of ze Loose.
C'est vrai quoi, on peut pas être deux rois à la fois...

14 commentaires:

  1. Sabrina l'oubliée16 septembre 2009 à 19:49

    J'ai beau connaître l'histoire, je passe quand même pour une folle à pouffer de rire devant mon écran. J'ai quand même trouvé deux minutes tu vois. Par contre, j'ai découvert la partie Moonwalk. Tu vois Jeff, Michael est un peu dans chacun de nous....

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  2. Bon, alors bravo! je suis aussi un peu passé pour un con, comme sabrina, à rire tout seul devant mon ordi en lisant ton récit meme si je l'ai vécu de l'intérieur!!!
    Dis, on en fait une mini série ( style Caméra Café!),on a déjà les acteurs....et je parie qu'on fait un malheur à Cannes!

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  3. J'ai bien cru que le corps enseignant était mort et enterré.
    Bon, s'il faut prévoir des quotas de gitans dans les collèges pour rendre le sourire aux profs, je dis pourquoi pas!

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  4. On est pas payé cher, mais qu'est-ce qu'on rigole comme dirait l'autre..

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  5. Non mais ... M. Bilboquet... ca ne va pas du tout votre proposition.... NON, NON, NON... y a des sujets avec lesquels on ne rigole pas!!!!!

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  6. la prof: t'es qui toi déjà?17 septembre 2009 à 22:25

    Ca fait plaisir à lire, moi aussi j'ai rigolé toute seule.... Tu n'as pas eu droit au contraction abdominale avec le moonlight? Parce que Djisses a découvert récemment qu'il avait un nombril et qu'il n'était pas le seul. Si, si, véridique!!!

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  7. Séb dit :Bien rigolé aussi devant mon écran (ça semble être la même pour tous).
    Merci Jeff, tu illumines notre rentrée.
    A propos j'ai eu un "Maykel" dans ma classe il y a quelques années. Ca se prononce comme le roi de la pop mais il m'a fallu des mois pour y arriver et je me faisais méchamment enguelé à chaque fois que je l'appelais Mickaël.

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  8. Après "Mickaël est de retour, hallujah...." voici: "Jésus revient, Jéééésuuuuss revient, Jésus revient parmi les tiens.." (Avis aux cinéphyles. Moi je te trouve un peu méchant, le pauvre, il voulait rendre un dernier hommage au King of the Pop.. Pauvre Mickaël...
    Que c'est bon de retrouver le sourire grâce aux élèves. N'oublies pas de le remercier pour nous.
    Et merci à toi de nous faire partager ces moments là aussi surprenants que désarments et qu'hilarants (comment peux-t-on s'empêcher de rire qu'en on lit ça???)
    Adiu. Pepete

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  9. Excellent la vie de prof!On a bien rigolé à la lecture et on est impatient de lire la suite de tes aventures!

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  10. Hey Jeff

    excellent cette rentrée! On en veut encore! Vraiment je ne comprends pas pourquoi t'as envie de partrir en vacances avec cette ambiance de foly que t'as au bahut....

    La bise

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  11. Chère anonyme (même si je vois qui tu es), "payou" est un mot gitan qui signifie "non-gitan". Exemple : travail de payou, habit de payou, tête de payou (une tête qui ne chante pas en frappant des mains, en somme...)

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  12. Putain, Vous êtes vache avec Rézous. Il est capable de se sentir concerné le pauvre petit, de larmoyer...Mais Jefouille devient légèrement allergique à certaines formes de culture. Parce que, soit dit en passant, Jef à la cantine, c'est mieux ou pire que Rézous.Qui veut un petit récit dont la star serait "fransisco, l'obsédé" (dixit l'autre hystérique du bottom du bahut)? Je me ferai un plaisir d'écrire si j'y suis encouragée.
    Enfin, cessez de le complimenter, il va plus se sentir.
    Ciao, Simonne.

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