samedi 21 mars 2009

J'ai fait l'amour, j'ai fait le mort

Et si on passait une petite heure avec le voyageur solitaire, l'apiculteur des amours de vertige...? So long, Alain bashung...et hommage...

" A perte de vue des lacs gelés
qu'un jour j'ai juré d'enjamber
à perte de vue, des défilés,
Des filles à lever, des défis à relever,
Eviter les péages, jamais souffrir,
juste faire hennir les chevaux du plaisir...

A perte de vue du déjà vu du déjà vécu,
Volutes partent en fumée, vos luttes font des nuées,
des nuées de scrupules,
Issu de toi, issu de moi,
on s'est hissés sur un piédestal
et du haut de nous deux on a vu
et du haut de nous deux on a vu...

Les petits enfants qui tombent du balcon
toute leur enfance défile sous leurs yeux
Alors ils regardent ce qui se passe autour d'eux
Ils s'échappent, s'envolent devant les fenêtres

Tout est redevenu étrangement calme
ça cache kekchose, je l'entends plus crier mon nom
L'courant peut plus passer, si ça continue
j'vais m'découper suivant les points, les pointillés
Vertige de l'amour

J'ai longé ton corps, épousé ses méandres
je me suis emporté, transporté
par delà les abysses, par dessus les vergers
J'ai fait la cour à des murènes
j'ai fait l'amour, j'ai fait le mort
Eteins une à une les lumières
Reviens, va-t'en..."


Découvrez Alain Bashung!

vendredi 13 mars 2009

Prof de merde !!!

La sentence est tombée. Définitive. Tel un vieux couperet rouillé.

Depuis, je doute : suis-je effectivement un "prof de merde" ? Quel est mon rôle dans ce bahut ? Le joue-je bien ? Ai-je passé déjà onze années de ma vie professionnelle à patauger dans la fange ?

Bon, ne dramatisons pas non plus, ne commencez pas à vous inquiéter pour moi, cette sombre remarque m'est venue de l'experte ès enseignement en zone difficile, la "charmante bien que professionnelle" Miléssa Clash, une des pointures de mes 6èmes BriseNoix.
Je sens poindre un début d'enthousiasme chez les plus cyniques de mes lecteurs, qui piaffent d'impatience à l'idée de lire les énormités en tous genres effectuées par cette classe. Ce à quoi je réponds : vous allez être servis.
Mardi dernier (oui, je sais, ça fait quatre jours, mais j'ai mis du temps à m'en remettre...), je sors assez en forme de la salle des profs à 8h25, café noir avalé, bonjours esquissés, sourires osés. Je suis pas arrivé sous le préau que je découvre les deux Miléssa de la classe en train de papauter discrètement, telles deux dindes sous morphine (on tape néanmoins sur les 125 décibels, et il est encore tôt...). Je leur envoie très doucement et très gentiment un : "allez, les filles, il faut se ranger, on va monter en classe" et là, la Miss Clash maugrée un "pffff allez, c'est bon, pfff, marre...c'est bon, on va y aller, c'est pas vrai..."
Je stoppe là mon haletant récit pour amener du grain à moudre dans le moulin Miléssa Clash qui tourne à plein régime : c'est le cas typique de la môme qui s'énerve pour un rien, complètement parano, qui ne supporte pas qu'on lui reproche quelque chose, et qui surtout manifeste son mécontentement de manière particulièrement outrancière, faisant passer toutes les divas et les baleines du globe terrestre pour des modèles de sobriété et de discrétion. Bref, Miléssa est caractérielle, comédienne, complexée et insupportable. Mais elle sait parfaitement quand elle a dépassé les bornes, puisqu'elle vient régulièrement s'excuser de ses comportements hystériques, avec moults rougeurs de joues et larmes non feintes. Déjà quatre fois que la Cantona des BriseNoix s'emporte et quitte le terrain de jeu comme elle quitterait une scène de théâtre, pour revenir penaude se faire pardonner son vilain jeu de d'actrice too much.
Et aujourd'hui, c'est la fois de trop.
Je m'arrête et l'arrête : "ah, non, Miléssa, ne commence pas ce jeu-là, tu te calmes, et tu vas te ranger, ok ?
- Non, mais c'est bon, je peux parler, non ? Lâchez-moi, c'est bon, y'en a d'autres, allez..." et la voilà qui s'excite, le couperose dévore son visage, elle part rapidement, direction opposée à sa classe déjà rangée et qui nous attend.
Je cours à ses côtés, monte le ton et lui assène :
- Stop ! Maintenant, tu arrêtes, tu te tais, et tu vas te ranger comme tes camarades !
Et hop, demi-tour direct, regard presque méchant, elle me passe devant, direction le rang des BriseNoix, et lâche un trop fort : "Mais il m'enfade, ce prof de merde..."
Re-Stop. Test de vocabulaire.
"S'enfader" : pour qui habite au delà de la frontière séparant les Pyrénées-Orientales de l'Aude, "s'enfader" ne veut rien dire. Or, c'est le mot qui sert à tout dans le 6-6. Grosso modo, j'ai contrarié Miléssa, voire énervé, voire cassé les noix. Pour "merde", je pense que tout le monde aura compris.
Merci de votre attention.
Je crois rêver. Elle m'a insultée. J'avais eu droit auparavant à un "sale race" quand j'étais nordiste. Mais ça faisait longtemps, tiens. Je l'attrape par son col : "T'as parlé à qui, là ?" de la manière la plus super pas contente que je puisse faire.
- Mais c'est pas à vous, c'était à Miléssa (l'autre...)...
- C'EST UNE PROF, MILESSA ?????
J'ai failli finir par un "pétasse ???" mais j'ai pas osé. C'était moins une. Elle m'insultait PUIS se foutait de ma poire.
Elle ne bouge plus, tremble. Je reviens vers le rang qui me regarde assez éberlué. Je demande à mon assistante d'éducation de monter la classe dans la salle car je vais m'occuper du cas Clash.
Je la ramène sans piper mot devant le bureau des C.P.E. fermé. Je la regarde fermement, elle n'ose pas, elle n'ose plus.
"Tu restes là, je monte avec les autres, je vais revenir, j'en ai pas fini avec toi..."
Silence, séquences chocottes.
Classe des BriseNoix, étrangement calme.
A mon arrivée, les regards me scrutent (bon, à part Kookaï qui fait jamais rien comme les autres, de toute façon) et je me dois de leur expliquer :
"Je viens de me faire insulter par votre camarade, c'est inadmissible...je vais devoir m'absenter après pour m'occuper de son cas. En attendant, on est en cours, et je ne veux PLUS AUCUN BRUIT, C'EST PAS LE JOUR". J'ai du finir à gorge déployée. Cela fait du bien.
Pendant une demie-heure, relative attention, avec même son lot de perles et anecdotes qui redonnent le sourire. Un exemple :
On parle des dernières infos, Fétide annonce à la classe qu'il a entendu parler "d'un viol fait sur une fille de 10 ans et qu'ils ont donné des jumeaux que la fille elle veut pas trop mais enfin c'est parce que elle peut pas pas les avoir, mais c'est interdit alors les gens ils disent ki fait kelle ait les bébés paske ça se fait pas sinon".
Après avoir remis la phrase en ordre et éclairé certains détails, je souligne à Fétide et à la classe le principal problème de cette information.
"Fétide, combien de fois l'ai-je dit ? Quand on donne une info, on dit tout de suite de qui il s'agit et surtout où cela s'est passé ! Sinon, on peut croire, par exemple, que ce viol a eu lieu à côté, à la cité de Fernet-Blanquette, tu comprends"
et là, Khalèche, toujours d'une acuité sans failles :
- Ah C'est ICI ki ya eu le viol, m'sieu ?
- Mais non, c'est pas ici, Khalèche, c'était un ex-emple, juste pour dire à Fétide qu'il n'avait pas donné le pays où cela s'est passé. Alors, où ?
Et, au milieu des réponses plus idiotes les unes que les autres (l'Italie, le pôle nord, le Stade de France, Guadeloupe, Irak, USA, Paris), quelqu'un finit par trouver le Brésil (probable réminiscence de l'info regardée/écoutée la veille) à ma grande joie.
- Oui voilà, ça y est, c'est là.
Et, là, Khalèche surexcité et avide de scoop, se retourne vers tous ses voisins de table :
- Ah ouais, c'est là ? C'est là ? Quelle tour ? Quelle tour, le viol...?"
Entre la corde et le flingue, je vais choisir ce dernier, c'est plus rapide.
Surtout pour le dernier quart d'heure de la séance, où je n'étais plus qu'un fond sonore au milieu du doux vacarme de conversations entre voisins. Du coup, je me suis arrêté, me suis assis, ai ouvert le journal qui nous servait de document pédagogique, ai commencé à le lire silencieusement, pendant que les discussions s'amenuisaient. Jusqu'au silence, que je stoppe en lancant : "Eh bien parlez !"
la classe : Mais...
Moi : Alors quand on vous dit de vous taire, vous parlez ; et quand on vous dit de parler, vous vous taisez...alors, je le redis : Parlez entre vous, je m'en fiche maintenant !
Kookai : Mais on parle de quoi...?"
Retour chez les C.P.E. Ils ont su pour l'affaire, appellé les parents qui viennent demain (super, je serai pas là) et en attendant, discutent avec Miléssa et vont la renvoyer chez elle. Je dois faire un rapport de comportement, et on verra avec la hiérarchie. J'ai tout fait, tout signé, Miléssa ne revient au collège que Lundi, après trois journées d'exclusion. J'espère avoir au moins quelques excuses de sa part, même si des collègues m'ont parlé de ses pleurs intenses après cette altercation malheureuse.
Mais moi aussi, hein, franchement, lui couper la parole pour lui demander de se ranger...j'exagère un peu, quand même...je suis peut-être un prof de merde, en fait. Trop méchant avec les élèves, aucune liberté d'accordée, "C'est pas Disneyland, la vie" que je leur répète souvent.
Peut-être que je me trompe. Peut-être qu'effectivement, la vie devient Disneyland et que tous les élèves ont tous les droits. Hébé tant pis, tant qu'on m'aura pas prévenu, j'oserai encore interrompre Miss Clash dans ses élucubrations beuglées pour lui demander de se ranger. Je sais, c'est risqué, mais que voulez-vous, je suis trop un ouf dans ma tête, quoi !

mardi 3 mars 2009

Allo Kookaï, Ici la Terre...

Diantre. Serait-ce le fruit d'un travail acharné, d'un labeur intense et d'une efficacité à toute épreuve ? No sé. Mais le résultat est plutôt visible, du moins dans mes séances : mes 6èmes BriseNoix ne le sont plus. Ils sont même, osons les mots inattendus, attentifs...
Bon, tout est relatif, c'est pas non plus la panacée, y'en a toujours à faire sortir se calmer cinq minutes, d'autres qui blablatent sans arrêt, d'autres toujours complètement à l'Ouest. Mais le fait est que sur la séance d'aujourd'hui, entre débat sur les manifestations dans les DOM et choix des musiques qui accompagnent leurs productions vidéo, mes chers CasseNoisettes furent presque agréables à éduquer.
Néanmoins - j'aime ce mot, difficile à prononcer quand t'as le nez bouché, un peu péteux quand tu le sors dans une discussion et surtout qui te rend tout d'un coup plus attentif - néanmoins, donc...y'a toujours une brebis égarée dans ce fantasque lot de troupeau alpin, et ce n'est jamais la même. Aujourd'hui, m'sieurs-dames, je vous demande d'applaudir...Kookaï.
Ce gosse est déjà mal parti avec son prénom de créateur japonais qui lui va pas franchement à ravir. Mais le problème est que ça ne s'arrête pas là : Kookaï possède à mon sens ce que bien des artistes et des poètes devraient posséder : SON univers. Kookaï est là, physiquement présent, devant toi, léger sourire indécis sur le visage, l'air d'avoir compris, alors que pas du tout : Kookaï réceptionne tes dires depuis sa stratosphère qui est quand même, vu le temps de réception des messages, hyper méga loin. Vous demandez "Comment vas-tu, Kookaï ?", et Kookaï vous répondra dans une minute : "Non mais c'est parce que voilà je sais pas où aller, j'ai pas compris ce que vous dites, vous parlez trop des fois, je comprends plus". Trois mots dans ma question. J'ai "trop parlé". Soit. Parfois, je pense que Kookaï se drogue.
Aujourd'hui, milieu de matinée, Kookaï se pointe seul au C.D.I, vingt minutes après tous les autres élèves d'autres classes venus travailler. Aucun des 6ème BriseNoix n'est là, j'en conclus qu'il y a un souci. Je m'avance vers Kookaï qui regarde partout, avec son air à la fois presque vivace et complètement mollusque, c'est très difficile à expliquer, l'impression qu'il donne d'aller vite, mais au ralenti.
"Ah, c'est vous..."
Oui, au C.D.I., à part ma collègue, il y a des chances pour que l'on tombe sur moi.
"Pourquoi es-tu ici, Kookaï ?
- Non mais c'est parce que je sais pas où aller, là...
- Tu t'es fait exclure de cours ?
- Non.
- Bon, mais alors où est ta classe ?
- Je sais pas, elle est en classe.
Je sens qu'on va pas avancer.
- Donne moi ton carnet, jeune homme. On va vérifier.
- Non mais c'est parce que je crois que on est avec la prof de français...
- Ben oui, je le lis, là. T'es en Français ou en aide aux devoirs.
- Oui, voilà, en aide aux devoirs, là, voilà, en français.
Ma machine à baffes virtuelles va s'enclencher rapidement.
- Kookaï...
Il ne me regarde plus, le vaisseau est reparti.
- KOOKAÏ !
Implosion d'Ariane en plein vol, Kookaï se crashe à vitesse grand V.
- Oui, monsieur...
- Tu es SOIT en français, SOIT en Aide aux devoirs. Groupe 1 ou groupe 2. Tu es dans quel groupe ?
- Quel groupe....? Mais je sais jamais...
- Tu te fous de moi ?
- Mais non, je me fous pas de...
- On est en Mars, tu sais pas dans quel groupe tu es ???
- Ben non, on nous le dit jamais...
- Kookaï..juste pour vérifier...tu es dans quelle classe ?
- Moi ?
- ...
- Ben, 6ème.
- Certes, mais laquelle ?
- ....
- Son nom ???
- ....ah mais vous voulez dire un nom, comme le nom de BriseNoix, comme ça ?
Alleluia. Je vais finalement pas avoir besoin de défibrillateur, je l'ai pas totalement perdu (même si c'était limite).
M'en allant quémander à la CPE où devrait être Kookaï en ce tragique milieu de matinée, voilà-t-il pas que Falballah, grande prêtresse des surveillants, débarque d'un pas vigoureux en me souriant : "Est-ce que Kookaï de la 6ème BriseNoix est ici ?"
Je me retourne.
- Ben oui, regarde, il est là, il sait plus dans quel grou...
- Kookaï, dit Falballah super méchamment, de quel droit tu t'auto-exclues ?
Je me re-retourne sur Kookaï qui suit des yeux des nuées de libellules imaginaires au-dessus de lui. La "machine-à-baffer-jusqu'à-ce-qu'on-voit-les-moignons-de-ses-mains" est virtuellement enclenchée. IL se fout de moi. Et, à travers les multiples mondes imaginaires qui nous séparent à cet instant-là, il doit sentir que je suis quelque peu agaçé. Enfin j'espère.
- Non, mais en fait, j'allais vous le dire, là...
- Quoi ?
- Ben non mais que j'avais été exclu tout seul.
- Bon OK, j'ai compris, tu te fous de moi, ça fait dix minutes qu'on bataille pour rien, alors que tu as fait sauter le cours de Français, arrête deux minutes, et suis-moi.
- Non, mais en fait, pour le français, je sais pas...
- Tais-toi.
- Mais je vous ai pas dit que j'étais pas y allé en cours, parce que j'y ai pas allé en cours, en fait, c'est parce que je sais pas si je dois y allé en cours, je compren...
- TAIS-TOI !!!
Chez les CPE. On attend dans le couloir que la CPE des 6ème débarque, je continue à débattre avec Kookaï qui semble en apesanteur, la soupape d'aération a du être enclenchée lors de ma montée d'adrénaline (souvent très sonore), et un des autres CPE se bidonne dans son bureau en écoutant notre dialogue de sourds. Arrive la CPE et une collègue de l'équipe pédagogique de la classe, elles écoutent la situation, hallucinent un peu (moins qu'avant, tout de même, on commence à les connaître, on est limite anesthésiés) et à la question " Mais pourquoi lui as-tu menti ?", le créateur japonais répond "Mais en fait, j'allais lui dire, mais y'avait trop de choses que Monsieur L. disait après j'ai plus compris, et après je sais plus ce que j'avais fait avant..."
On en saura pas plus, chacun regagne son rang, avec toujours les mêmes interrogations.
Dans deux heures, Kookaï sera revenu me voir pour s'excuser, avec une phrase tellement récitée et marmonnée que je penserai d'abord qu'on lui a dit de venir s'excécuter ; puis je mènerai ma petite enquête pour m'apercevoir que c'est de son plein gré qu'il est venu m'implorer le pardon, et je penserai alors que Kookaï a tellement mémorisé sa phrase d'excuse dans l'hyperespace qu'elle apparaît entre ses lèvres si impersonnelle. Trop de récitation tue l'émotion, mais pas l'intention.
Mauvaise foi, disent les uns. Schizophrénie, disent les autres. Bonhomme perdu dans la Matrice, imagineront les cinéphiles. Foutage de gueule, pensent beaucoup. Cas intéressant, décident les rares pseudo-psys du bahut. Quoi qu'il en soit, Kookaï est un peu notre E.T., un gentil alien dont on ne comprend que peu le raisonnement, un cas à part dans la classe, là et pas là, mais très très souvent ailleurs. J'espère au moins que là-bas, pour lui, l'herbe y est plus tendre...