vendredi 26 novembre 2010

Ze Chau Meust Gau Honne...

J'aime bien Bipep's.

Bipep's, c'est l'élève que tu n'oublies pas dès la première rencontre, dès la première heure de cours. Tu le repères direct grâce à sa petite taille qui le fait rapidement passer pour un môme de 7 ans avant même qu'il n'ouvre la bouche. Et le problème de Bipep's, c'est que quand il l'ouvre, sa bouche, ben il a encore et toujours 7 ans. Malgré le fait qu'il soit officiellement (c'est marqué sur son carnet de liaison, je vous mens pas...) en 4ème.

Bipep's, c'est "Passepartout et ses clés" au milieu des "Chiffres et des Lettres", "Pokémon" perdu dans le monde de "Plus belle la vie"...un garçon à qui tu collerais une bise quand il te sourit le matin mais qui semble complètement perdu dans une stratosphère vraiment très très éloignée de ton petit monde étriqué de prof hyper-matérialiste. Bipep's au pays des Bisounours.

A priori, pas de soucis. Sauf quand on demande à Bipep's de faire genre t'es un élève de 4ème genre, genre en plus dans une 4ème option cinéma assez hétérogène mais où t'as quand meme quelques pointures du genre je réfléchis avant de l'ouvrir. Double peine pour Bipep's, il y est complètement largué. Et du coup, passe bien souvent pour un gentil clown, un peu jet-laggué. enfin, je pense en mon joli for intérieur (si si...) que Bipep's est plusieurs, d'où le "s" terminal de son pseudo...

"Pokémon Jekyll et Passepartout Hyde". Vous l'aviez rêvé, Bahutland vous l'a créé.

Alors oui, je vous le cache pas, Bipep's est un tantinet difficile à gérer. Un gars de 13 ans dans un corps et une tête de CE1, un bisounours du pays des rêves bleus confronté à la réalité d'un collège cho cho cho, ça fait un peu beaucoup pour une seule pers....pardon plusieurs personnes. Et forcément, les perles qui jaillissent de ce petit corps feraient probablement pâlir de jalousie Elizabeth II et ses joyaux. On tient là une collection éblouissante, dont voici quelques extraits...

1.Si vous oubliez de donner la parole à Bipep's, qui agite son bras de 11 cm le plus haut possible en se tortillant sur sa chaise, Bipep's vient alors jusqu'à vous au bureau, vous prend le menton dans sa main façon "je te tiens tu me tiens par la barbichette" et vous regarde dans les yeux "monsieur je vous parle là !". la première fois, c'est déstabilisant, mais on s'habitue vite, tel une assistante maternelle s'occupant des petiots à la crèche.

2.Bipep's a ce besoin irrépressible de se triturer l'entre-jambes toutes les 45 minutes, de frétiller alors sur sa chaise de manière légèrement hystérique, et de répondre à une question hyper sérieuse type technique cinématographique :
"Bipep's, pourquoi le réalisateur a décidé de passer du plan américain au très gros plan dans cette scène ?
- Monsieur, j'a pipi."
C'est déstabilisant aussi, mais...(revenir au point 1.)

3. Mais c'est probablement quand on s'attaque à la culture générale que Bipep's déploie toute sa force, et démontre son talent hors-pair à être totalement à fond ET complètement à côté de la plaque.

* Séquence adaptation cinématographique :
"Vous connaissez des pièces de théâtre qui sont devenus des films ?
- Les 101 dalmatiens !"

* Séquence intégrale du film AO (docu-fiction sur le dernier homme de Néanderthal)
- Mais M'sieu, comment ils ont fait pour trouver un homme comme ça encore ! En fait, ou alors, parce que, quand même, en fait je crois hein m'sieu, en fait c'est ça oui ça y est j'ai compris - en général, on a le cheminement de l'esprit de Bipep's en direct live, faut juste être patient...- en fait, c'est que le film il est tout vieux en fait, il est du temps des mammouths le film ! Et pourquoi y'a pas de dinosaures avec ?"

* séquence Western :
"alors, quelqu'un vient entourer sur la carte des USA la région appelée Far West. Bipep's ?"
Et Bipep's me trace une belle grosse patate sur l'Océan Atlantique.
"Bipep's, tu as déjà vu un western sous-marin ?
- Ben ouais, comme quand c'est qu'ils se mettent sur un radeau en bois et qu'il y a du courant et qu'ils font presque comme s'ils tombent alors qu'en fait pas, qu'ils restent secs...

A un moment donné, faut couper le son. Question de santé mentale.

Finalement, l'option cinéma sied parfaitement à Bipep's. Car Bipep's vit dans un film, un mix entre film d'aventures, film fantastique et film d'animation. Bipep's au pays des Merveilles. Et pour l'en extirper, c'est le calvaire. Mais y tient-on forcément ? Pour ma part, c'est si agréable d'avoir un Bipep's en classe, parfois...la petite touche d'innocence canaille au milieu des autres gars déjà trop matures.

Et je garde le meilleur pour la fin.
Deuxième jour de rentrée scolaire, où j'arbore une nouvelle coupe cheveux courts-barbe conséquente bien noire.
Bipep's rentre, dit "bonjour", puis bloque grave sur mon visage, trente secondes s'écoulent très lentement puis il sort :
"Eh m'sieu du CDI, c'est trop bizarre, en fait, vous êtes le père du m'sieu du CDI, hein ?"

Ouais, hein.

mercredi 21 avril 2010

mercredi 24 mars 2010

Vis ma vie de doc-hebdormadaire part. 4

Une longue hibernation ne signifie pas encore un abandon d'activité. Je m'y remets donc, pour j'espère votre plus grand plaisir.

Cette journée-type d'un pauvre hère accessoirement documentaliste est extrêmement chargée en situations ubuesques de la part de la fameuse 6ème Flaubert, devenue rapidement le mètre-étalon de la pédagogie par l'absurde et le doute.

Revoilà donc mes lascars, accompagnés cette fois-ci de leur professeur d'histoire-géographie. Avec une tâche qui ma paraît méchamment ardue : appréhender les coordonnées terrestres (latitude et longitude) sur des atlas et cartes géographiques.

Un élève par table, un atlas par élève, une fiche par atlas.

Les ennuis commencent vite : "cé koi ces trucs ?", "m'sieu je comprends rien aux dessins", "adda, le pays qu'y a dessiné sur le livre, on dirait ta reum"...
Mais, n'écoutant que mon courage et ma foi en la pédagogie par l'erreur, je tâtonne, j'empirise grave et au bout de trente longues mais bienfaitrices minutes, les élèves - ô miracle ! - semblent avoir compris comment calculer les coordonnées de lieux et arrivent à peu près à les retrouver, les replacer, les évaluer.
On passe direct à la section "jeux" : on trouve des capitales suivant les calculs proposés. Ca se passe à peu près correctement, les élèves les trouvent relativement vite (la carotte et l'appât d'un gain fictif les motivent, c'est un fait qu'aucun prof ne peut nier) jusqu'à ce que Ottawan lève le doigt : "M'sieu, j'ai pas trouvé Pékin.
- ben, recalcule, lis bien les coordonnées.
- ben je truque bien le calcul, mais y'a pas marqué Pékin, y'a marqué "Béjingue".
- Ah...oui, ok, je comprends. En fait ton atlas a écrit "Pékin" en langue chinoise.
- MMMMMaaaaaaa...il est chinois, le livre ?

Et, bon gré mal gré, je me lance dans une explication avec moults exemples sur l'écriture chinoise en signes, leur traduction alphabétique du mandarin, et les variations adaptées pour la langue française.
Soit Pékin -> beijing -> le signe avec plein de traits, de lignes, et de carrés (que je trace sur une feuille).

L'assistance est sous le choc. "Eh mais monsieur, vous savez écrire le chinois ?
- Euhhh, un petit peu, je suis déjà allé en Chine pour voyager, j'ai appris quelques signes, oui... mais bon, je sais pas quand même parfaitement...
- Et vous savez écrire les prénoms comme les chinois qui sont au marché ?

Ouh là. Pied qui effleure les sables mouvants. Que dois-je dire ou faire ? En même temps, je réfléchis à l'idée qu'on va vers du grand n'importe quoi qui pourrait alimenter à nouveau ce bloc déjà bien chargé bien que peu alimenté ces temps-ci. Donc, le cynisme aidant, je me lance avec sourire :

- ben pas vraiment, mais ceci dit ce n'est pas très dur. Les signes expriment des sens, des images qui se complètent, comme vos prénoms, en arabe, ça signifie des choses, il suffit ensuite de les dessiner et les coller ensemble.
- OUUUUAHHHH.....TROP FOY ! hurle la moitié de la classe, l'autre étant dans une pièce accolée d'où sort leur prof : "tout se passe bien ?"
- Super...ils viennent de découvrir que Pékin se disait Beijing !
- Ah d'accord..., répond leur prof en fermant la porte, légèrement dubitative.

Retour aux affaires, je vais faire payer mes oeuvres, 2 € ton prénom en chinetoque sur un poster feuille double format A4.

- Eh m'sieu, vous pouvez écrire mon prénom Adda ?
- Oui, Adda. ça veut dire quoi Adda en arabe ?
- j'en sais rien.
- Bon, on va dire que ça veut dire "sage du désert"...

Je ris intérieurement. Je suis le seul.
Et vas-y que je trace trois ondulations qui ressemblent à des dunes resserrées auquel je rajoute trois points et un carré. "là, tu vois ce sont les lignes d'un désert avec les formes géométriques de la sagesse tels que Bouddha les a imaginées". Ils m'écoutent à peine débiter des conneries au kilomètre, ils sont scotchés sur les papiers où je griffonne leurs faux prénoms. Manquent plus que les feuilles de riz, l'encre de chine et le thé au jasmin.

"Franchement, m'sieu, c'est trop beau, franchement, c'est trop beau...vous êtes un nasdé, m'sieu. Vous devriez venir au marché le dimanche pour faire ça, vous gagnerez bien votre vie, whala.
-Mais j'y ai songé, Dalida, j'y ai songé...mais j'étais pas assez chinois, tu comprends...
- Sérieux ? Pourquoi ils vous ont pas gardé ?
- Ben...devine...." conclus-je en lui montrant ma tête...

Houpa-Lumpa sort alors des nimbes de la passivité aigüe.
"Et moi ? Vous pouvez ?
- Oui, je pense que c'est faisable.
- En plus, je sais ce que ça veut dire, mon nom. "Femme qui vient du Ciel".
- Alors, là, c'est facile.

Et je lui fais une femme tel qu'un môme de 4 ans dessinerait sa mère : deux traits pour les bras, une robe triangulaire, et deux traits verticaux pour des jambes anorexiques. Auquel je place un long trait au-dessus pour les cieux, et des semblants de flèches descendantes sur le schéma féminin. Et là, je me dis qu'ils vont comprendre que je me fous gentiment de leur poire. Comme d'habitude, je me plante. Ils sont on ne peut plus sérieux.

"C'est un truc de malade comme c'est bien fait, franchement, m'sieu, trop beau..."
Et là, je continue sur ma lancée, le spectacle est trop délicieux.
"Et quand tu dis ton prénom en chinois, ça donne "Tsin Wang Fou Glin" que je susurre - à prononcer avec ce petit accent pas du tout cliché qu'utilisait Michel Leeb dans ses sketches.

Et c'est l'émeute. "Ouah, m'sieu, vous parlez chinois ? Vazy, vazy, disez mon prénom pour voir..."
- Tchou fan Ping.
- MMMMMAAAAAAAA....tchou fan Ping, sérieux ? c'est encore plus beau que Dalida.
- oui, si tu veux...

Mais je le vois bien, ce petit regard inquisiteur de Houpa-Lumpa, je le vois bien. Je crois surtout qu'elle a capté la supercherie. Elle me regarde droit dans les yeux, elle me fixe longtemps, très longtemps, et je lui lance au bout du compte :
"Enfin une qui a compris...
- oui, monsieur, ça y est, je sais votre secret...
- enfin ! vas-y, Houpa-Lumpa, fais-en profiter la classe. Ecoutez tous votre camarade, s'il vous plaît".
Et, là, la meuf qui descend du sky, d'un ton solennel :
- Je sais, j'ai compris...VOUS êtes chinois !

Malentendu. Total.
-Mais, enfin, Houmpa-Lumpa...je suis Chinois ?
- Ben ouais !
Et elle tend son doigt vers ma face et s'écrie pour les autres :
- Mais regardez ses yeux !
Et la classe s'approche et me dévisage :
"ah mais ouais, carrément...le prof c'est un Chinois, en fait !"

Je le savais. Je savais que mon opération de débridage des yeux avait foiré.

Nijao, les aminches, je repars préparer du porc au caramel et je vous dis à très vite.