mardi 3 mars 2009

Allo Kookaï, Ici la Terre...

Diantre. Serait-ce le fruit d'un travail acharné, d'un labeur intense et d'une efficacité à toute épreuve ? No sé. Mais le résultat est plutôt visible, du moins dans mes séances : mes 6èmes BriseNoix ne le sont plus. Ils sont même, osons les mots inattendus, attentifs...
Bon, tout est relatif, c'est pas non plus la panacée, y'en a toujours à faire sortir se calmer cinq minutes, d'autres qui blablatent sans arrêt, d'autres toujours complètement à l'Ouest. Mais le fait est que sur la séance d'aujourd'hui, entre débat sur les manifestations dans les DOM et choix des musiques qui accompagnent leurs productions vidéo, mes chers CasseNoisettes furent presque agréables à éduquer.
Néanmoins - j'aime ce mot, difficile à prononcer quand t'as le nez bouché, un peu péteux quand tu le sors dans une discussion et surtout qui te rend tout d'un coup plus attentif - néanmoins, donc...y'a toujours une brebis égarée dans ce fantasque lot de troupeau alpin, et ce n'est jamais la même. Aujourd'hui, m'sieurs-dames, je vous demande d'applaudir...Kookaï.
Ce gosse est déjà mal parti avec son prénom de créateur japonais qui lui va pas franchement à ravir. Mais le problème est que ça ne s'arrête pas là : Kookaï possède à mon sens ce que bien des artistes et des poètes devraient posséder : SON univers. Kookaï est là, physiquement présent, devant toi, léger sourire indécis sur le visage, l'air d'avoir compris, alors que pas du tout : Kookaï réceptionne tes dires depuis sa stratosphère qui est quand même, vu le temps de réception des messages, hyper méga loin. Vous demandez "Comment vas-tu, Kookaï ?", et Kookaï vous répondra dans une minute : "Non mais c'est parce que voilà je sais pas où aller, j'ai pas compris ce que vous dites, vous parlez trop des fois, je comprends plus". Trois mots dans ma question. J'ai "trop parlé". Soit. Parfois, je pense que Kookaï se drogue.
Aujourd'hui, milieu de matinée, Kookaï se pointe seul au C.D.I, vingt minutes après tous les autres élèves d'autres classes venus travailler. Aucun des 6ème BriseNoix n'est là, j'en conclus qu'il y a un souci. Je m'avance vers Kookaï qui regarde partout, avec son air à la fois presque vivace et complètement mollusque, c'est très difficile à expliquer, l'impression qu'il donne d'aller vite, mais au ralenti.
"Ah, c'est vous..."
Oui, au C.D.I., à part ma collègue, il y a des chances pour que l'on tombe sur moi.
"Pourquoi es-tu ici, Kookaï ?
- Non mais c'est parce que je sais pas où aller, là...
- Tu t'es fait exclure de cours ?
- Non.
- Bon, mais alors où est ta classe ?
- Je sais pas, elle est en classe.
Je sens qu'on va pas avancer.
- Donne moi ton carnet, jeune homme. On va vérifier.
- Non mais c'est parce que je crois que on est avec la prof de français...
- Ben oui, je le lis, là. T'es en Français ou en aide aux devoirs.
- Oui, voilà, en aide aux devoirs, là, voilà, en français.
Ma machine à baffes virtuelles va s'enclencher rapidement.
- Kookaï...
Il ne me regarde plus, le vaisseau est reparti.
- KOOKAÏ !
Implosion d'Ariane en plein vol, Kookaï se crashe à vitesse grand V.
- Oui, monsieur...
- Tu es SOIT en français, SOIT en Aide aux devoirs. Groupe 1 ou groupe 2. Tu es dans quel groupe ?
- Quel groupe....? Mais je sais jamais...
- Tu te fous de moi ?
- Mais non, je me fous pas de...
- On est en Mars, tu sais pas dans quel groupe tu es ???
- Ben non, on nous le dit jamais...
- Kookaï..juste pour vérifier...tu es dans quelle classe ?
- Moi ?
- ...
- Ben, 6ème.
- Certes, mais laquelle ?
- ....
- Son nom ???
- ....ah mais vous voulez dire un nom, comme le nom de BriseNoix, comme ça ?
Alleluia. Je vais finalement pas avoir besoin de défibrillateur, je l'ai pas totalement perdu (même si c'était limite).
M'en allant quémander à la CPE où devrait être Kookaï en ce tragique milieu de matinée, voilà-t-il pas que Falballah, grande prêtresse des surveillants, débarque d'un pas vigoureux en me souriant : "Est-ce que Kookaï de la 6ème BriseNoix est ici ?"
Je me retourne.
- Ben oui, regarde, il est là, il sait plus dans quel grou...
- Kookaï, dit Falballah super méchamment, de quel droit tu t'auto-exclues ?
Je me re-retourne sur Kookaï qui suit des yeux des nuées de libellules imaginaires au-dessus de lui. La "machine-à-baffer-jusqu'à-ce-qu'on-voit-les-moignons-de-ses-mains" est virtuellement enclenchée. IL se fout de moi. Et, à travers les multiples mondes imaginaires qui nous séparent à cet instant-là, il doit sentir que je suis quelque peu agaçé. Enfin j'espère.
- Non, mais en fait, j'allais vous le dire, là...
- Quoi ?
- Ben non mais que j'avais été exclu tout seul.
- Bon OK, j'ai compris, tu te fous de moi, ça fait dix minutes qu'on bataille pour rien, alors que tu as fait sauter le cours de Français, arrête deux minutes, et suis-moi.
- Non, mais en fait, pour le français, je sais pas...
- Tais-toi.
- Mais je vous ai pas dit que j'étais pas y allé en cours, parce que j'y ai pas allé en cours, en fait, c'est parce que je sais pas si je dois y allé en cours, je compren...
- TAIS-TOI !!!
Chez les CPE. On attend dans le couloir que la CPE des 6ème débarque, je continue à débattre avec Kookaï qui semble en apesanteur, la soupape d'aération a du être enclenchée lors de ma montée d'adrénaline (souvent très sonore), et un des autres CPE se bidonne dans son bureau en écoutant notre dialogue de sourds. Arrive la CPE et une collègue de l'équipe pédagogique de la classe, elles écoutent la situation, hallucinent un peu (moins qu'avant, tout de même, on commence à les connaître, on est limite anesthésiés) et à la question " Mais pourquoi lui as-tu menti ?", le créateur japonais répond "Mais en fait, j'allais lui dire, mais y'avait trop de choses que Monsieur L. disait après j'ai plus compris, et après je sais plus ce que j'avais fait avant..."
On en saura pas plus, chacun regagne son rang, avec toujours les mêmes interrogations.
Dans deux heures, Kookaï sera revenu me voir pour s'excuser, avec une phrase tellement récitée et marmonnée que je penserai d'abord qu'on lui a dit de venir s'excécuter ; puis je mènerai ma petite enquête pour m'apercevoir que c'est de son plein gré qu'il est venu m'implorer le pardon, et je penserai alors que Kookaï a tellement mémorisé sa phrase d'excuse dans l'hyperespace qu'elle apparaît entre ses lèvres si impersonnelle. Trop de récitation tue l'émotion, mais pas l'intention.
Mauvaise foi, disent les uns. Schizophrénie, disent les autres. Bonhomme perdu dans la Matrice, imagineront les cinéphiles. Foutage de gueule, pensent beaucoup. Cas intéressant, décident les rares pseudo-psys du bahut. Quoi qu'il en soit, Kookaï est un peu notre E.T., un gentil alien dont on ne comprend que peu le raisonnement, un cas à part dans la classe, là et pas là, mais très très souvent ailleurs. J'espère au moins que là-bas, pour lui, l'herbe y est plus tendre...

2 commentaires:

  1. Pauvre gosse. s'il ne le fait pas exprès, il est mal barré. ça fait peur. et puis avec un prénom pareil, ce n'est pas gagné non plus.
    je pense que c'est ça le plus démoralisant dans notre métier.
    avoir des enfants pour qui on sait qu'on ne pourra pas faire grand chose. on a beau essayé, on n'obtient que peu de résultat. et encore, j'interviens avec des gosses bien plus petits que toi. j'ai bien plus de marge de manoeuvre tout en sachant parfois que pour certains, on n'ira pas très loin.

    Barby

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  2. Attention en revanche si ailleurs à défaut d'être tendre l'herbe y est plus sèche ... et qu'il la fume !

    Psychorigide

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