mardi 24 février 2009

Une certaine philosophie de la life...

Melchior vient d'entrer au C.D.I. et s'est approché une chaise tout près de mon bureau, à environ dix centimètres de ma tête. De nature assez perspicace, je crois comprendre que Melchior veut me parler, et quand Melchior veut parler, on s'arrête et on l'écoute.

Melchior est un gitan sédentaire, inscrit au collège depuis au moins quatre années, et plus ou moins présent, suivant le temps et l'envie. En quatre années, Melchior n'a pas beaucoup grandi, mais pas mal mué : petit corps musculeux qu'il exhibe dès que le thermomètre dépasse les 15°c, des poils un peu partout, une légère balafre ou cicatrice à la joue (Melchior a vécu...), une coupe de cheveux virile et la dégaine qui va avec. Melchior est devenu un mec, mais à l'intérieur, c'est un grand gamin. Avec sa naïveté et sa légère connerie de môme assez fou-fou. Sauf qu'aujourd'hui, Melchior ne frappe pas dans ses mains en beuglant un flamenco inspiré, Melchior ne tape pas sur quelqu'un pour marquer son territoire, Melchior ne hurle pas à l'entrée du C.D.I., Melchior est juste venu s'asseoir à mes côtés, en souriant. Melchior est donc très fatigué, mais a envie de causer.

"Bonjour, Melchior.
- Bonjour, monsieur. Tu vas ?"

Les gitans tutoient, impossible de les faire changer. En même temps, s'ils se mettent à vouvoyer, c'est plus ou moins une forme de distance, de mépris. Autant en rester là, la lutte est usante.

"Je vais, et toi ?
- Maaaa...je réfléchis."

Scrutage intense et limite dérangeant de mon alliance.

"Maaaaa..elle est belle ta bague, elle me brille dans les yeux. T'es marié ? T'as des niños ?"

Allons bon, moi qui pensais avoir opté pour une alliance surtout pas bling-bling, c'est raté. Apparemment, elle crève les yeux noirs de l'adolescent. De plus, il semble la découvrir aujourd'hui, alors qu'elle brille de mille feux (donc...) depuis le début de l'année scolaire.

"euh...ça te regarde pas trop, Melchior, mais oui, difficile de le cacher, je suis marié, oui. Et j'ai un petit garçon.
- Ahhh, c'est fini les femmes, hein, toutes les femmes qui passent, maahh, tu les regardes plus, non ?"

Je souris, c'est ma seule arme devant la désarmante réplique de Melchior qui apparemment veut causer des choses de la vie. Le connaissant, je me dis qu'il va falloir assurer. Allons-y.

"C'est sûr qu'en se mariant, tu deviens fidèle à la femme que tu épouses. Mais tu peux quand même regarder les autres femmes, tu n'es pas aveugle, les femmes sont belles...
- Moi, je veux pas me marier, et je veux pas avoir de niño. Bah, des niños, t'es en prison avec, tu fais plus rien.
- Mais tu es jeune, Melchior, c'est normal que tu veuilles pas encore te marier, t'as le temps...
- Oui, mais plus tard, zéro enfant, je veux.
- D'accord, j'ai compr...
- Ou alors trois"

Ah. Pas de demie-mesure chez les manouches. Le gris n'existe pas, c'est le blanc ou le noir, tout ou rien, tu choisis ton camp.

"Oui, enfin y'a une marge, Melchior...entre aucun et trois...tu peux avoir un seul enfant, tu sais.
- Mais oui, je sais, je sais comment on fait pour faire niños, tu sais pas, toi ?"

Vexé, le roi mage de la cité. Je vais pas continuer le débat en faisant remarquer que j'en ai déjà un, de niño, donc niveau mode d'emploi, j'ai saisi. Passons à la suite de ce passionnant échange...

"Oui, bon Melchior tu verras plus tard, t'auras peut-être envie de fonder une grande famille, comme tes parents, attends un peu.
- Et si la femme, elle en veut six ?
- Ben, vous n'aurez qu'à couper la poire en deux : vous en faites quatre et demi !"

Je suis pas peu fier de ma blagouze. Sauf qu'il n'y a que moi que ça amuse. Long temps de réflexion chez le manouche, jusqu'à ce que la sauce monte :

"Mais, t'es fou toi...tu veux que je découpe un niño ?? Mais la femme elle en mourra ! ça va pas, toi !"

Ecoeuré, il se barre, me laissant dans mon grand étonnement et mes "je plaisante, Melchior" qui tombent à l'eau.

Je crois que je ferais un très mauvais psychothérapeute.

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C'est avec un plaisir non dissimulé que j'ai retrouvé mes chers 6ème BriseNoix, revenus de leur périple montagnard. Je me demande encore comment ils ne se sont pas retrouvés sous une avalanche, vu le niveau des décibels quand ils parlent tous ensemble.
Un peu moins furibards qu'à l'accoutumée, peut-être que le grand air a fait son bénéfique effet, nous avons pu travailler à peu près correctement, espérons que cela se poursuive...

(je sens poindre une mini déception chez vous, mais je n'ai rien à vous mettre sous la dent côté perles des BriseNoix, sachez que j'ai été autant déçu que vous à la fin de ce cours...sur ce...)


Et pour rester dans le sujet cher à Melchior, afin de ne pas trop regarder les femmes, une bonne claque musicale (97...si loin...) :

http://www.clipzik.com/miossec/la-fidelite.html

3 commentaires:

  1. A quand l'adaptation scénaristique!En plus, tu aurais de bonnes chances pour l'Oscar!

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  2. presque elle me fait pleurer ton histoire
    ému je suis
    PS : le bonjour à Melchior

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  3. Je comprends maintenant pourquoi tu associes les mots "fidélité et chasteté".Envoie- moi Melchior, j'étudie Don Juan en ce moment;

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